Les « Visages de Mots » – 2 – Molo

5 février 2011

  De ces visions recouvertes des brumes du paysage-pensé du livre, certaines scènes m’apparurent comme des espaces ajourés au travers d’une jungle dense. Des îlots d’où l’on peut apercevoir le ciel et procurent par leur ouverture verticale vers la lumière, un sentiment de réconfort, face à l’œuvre en cours.

  Ces chapitres en construction d’où émanaient déjà la sueur, le doute, la rage – toute la panoplie de l’écrivain au travail –  ces quelques lignes servant de plan aux structures de l’histoire, ressemblaient davantage à l’ébauche d’une cathédrale faite de cartes à jouer, qu’un simple courant d’air de distraction suffirait à mettre à terre ou, dans ce cas et en pire, à en « remettre à demain » l’écriture. De ces clairières ouvertes donc, j’arrivais à distinguer avec précision des décors précis où évoluaient mes personnages.

  À l’inverse de Leia, un des personnages-clés dans l’histoire de Curtiss me fût inspiré par une photographie trouvée sur le net.

  L’homme qui souriait à l’objectif soixante dix ans plus tôt, sauta dans le récit d’une manière évidente. Il prit sa place dans le roman avec un naturel, une telle évidence, qu’aucune hésitation ne me vint à l’esprit : il ferait partie de l’aventure. C’était en 2007, lors des premiers brouillons de « Laisse le Vent du Soir Décider« …

  Le personnage de Molotov,  le Sergent-Chef Molotov – dit Molo – venait de naître.

  Il y a quelques jours, j’ai reçu une autorisation d’utilisation de documents provenant d’archives familiales, d’un photographe de l’USMC ayant couvert le théâtre d’opérations qui sert de toile de fond pour le début de mon histoire (Guerre du Pacifique 1942-1945). Un courrier très touchant signé par le fils de ce reporter de guerre, disparu il y a peu. Dans ces archives, au milieu de dizaines de clichés inédits, la silhouette, le visage de Molo se détacha, s’expulsa soudainement, une fois de plus, de tout le reste…  J’avais reçu sans le savoir l’original du cliché qui avait donné vie au personnage de Molotov, quatre ans plus tôt ; le nom du photographe,  la véritable identité de « Molo », le lieu et la date du document, une émergence de la réalité dans l’imaginaire de mon récit.

  J’ai contacté ensuite celui qui avait donné ses traits au personnage de Molotov : Ken B. en expliquant ma démarche, celle d’un écrivain français de cette vieille Europe, se passionnant pour un cliché ancien. La réponse m’est parvenue cette nuit, quelques lignes écrites par sa femme, la charmante Dorothy. Ken est décédé, le vieux soldat n’est plus…  Mais, comme l’écrit Dorothy «  i’m sure he would okay permission for using the photo ».

  Il arrive parfois qu’une infinie émotion me serre le cœur, en consultant ma documentation. En remuant des souvenirs qui ne m’appartiennent pas, en allant chercher une vérité que l’entre-deux lignes ignore. Une vérité endormie sous la poussière du temps, un visage de mot où se pose un nom.

For Ken and Dorothy B.

« Molotov était un personnage à part, une sorte de symbole : l’image vivante du Chef-Mécano. Gueulard, chiant, intransigeant dans son boulot et dirigeant ses « graisseux » avec une poigne de fer(…) Le bonhomme en imposait : une masse de deux mètres taillée dans du blindage… »

  « Molotov était un personnage à part, une sorte de symbole : l’image vivante du Chef-mécano. Gueulard, chiant, intransigeant dans son boulot et dirigeant ses ‘graisseux’ avec une poigne de fer, mais toujours avec l’objectif d’un boulot soigné, d’un entretien ou d’une réparation irréprochables. Je n’ai JAMAIS entendu un pilote se plaindre des ateliers dont Molotov avait la responsabilité.

  Le bonhomme en imposait : une masse de deux mètres taillée dans du blindage. Il se déplaçait en de grandes enjambées sur des kilomètres de base, déboulant là où on l’attendait le moins, en général au plus mauvais moment pour les mécanos. Crâne rasé surplombé de la même casquette boulonnée sur sa bouille ronde où était vissé à longueur de journée un cigare puant et toujours éteint, qu’il chiquait plus que ne fumait.

  Il cavalait toute la journée en vociférant. Petit à petit, au travers des murs de planches, j’identifiais sa voix, haranguant ses « graisseux », organisant cette portion de base qui serait son domaine, ses terres, le fief sur lequel il régnerait en maître. Il faisait des passages éclairs à la baraque, souvent accompagné d’un ou deux mécanos, chargés de caisses, de sacs, de barda. Il s’installait. En quelques jours, la cabane s’emplit d’un bric-à-brac extraordinaire, des monticules de matériel s’élevèrent bientôt autour de ma couchette, s’entassèrent contre les murs, envahirent la tanière. Odeurs diverses de cambouis, de graisse, de poussière chaude et de bois mouillé ; des parfums aussi, épices, fruits, légumes, café, mélanges de thés, émanaient du bazar. À croire que tout le trafic du coin se concentrait là, passait par Molotov. En fait, c’était exactement cela… »

 Laisse le Vent du Soir Décider – Extrait.

 © Jean-Michel RiHET 2011 – Photography used by permission : © Jon Tekulve – Character writing used by permission : D. Butterfield.

4 Réponses to “Les « Visages de Mots » – 2 – Molo”


  1. […] Dans le “Visage de Mots – Molo“, Ken apparait sous les traits d’un personnage de roman, sous l’objectif de […]


  2. […] Dans le « Visage de Mots – Molo« , Ken apparait sous les traits d’un personnage de roman, sous l’objectif de […]

  3. Bozorgmehr Says:

    A la lecture de cet extrait, j’ai trouvé que MOLO est un sacré personnage, fascinant et prometteur !
    Vos mots se superposent parfaitement à ce visage, cette photo.
    Bien à vous
    C.


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